par :
Marie-France Steinlé Feuerbach ,maitre de conférences, directeur adjoint du Cerdacc


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  COUR D'APPEL DE CHAMBERY

Lycéen tué: proviseur, maire et enseignant condamnés



Les activités scolaires et sportives apparaissent malheureusement avec régularité sur la scène judiciaire pénale. Les faits, comme souvent lors de tels accidents, sont d'une tragique banalité. Des lycéens sont formés aux activités de la montagne et à cet effet des stages en station pour la pratique du ski alpin sont organisés. Lors d'un de ces stages, effectué en décembre 1997 à Valloire, trois des lycéens projettent d'escalader la cascade de glace artificielle aménagée sur le site de la commune et sollicitent à cet effet Gilles V., responsable du stage et répétiteur du lycée, l'autorisation de rester à Valloire après le ski plutôt que de retourner au lycée. Si les témoignages ne permettent pas de démontrer de manière absolue que l'autorisation d'escalader la cascade leur a été expressément accordée, il est néanmoins établi que Gilles V. ne s'est pas opposé à cette activité qui n'entrait pas dans le programme du stage. Seuls deux des trois lycéens reviendront, le troisième, Julien âgé de 17ans, fait une chute et décède à l'hôpital.

Trois personnes sont alors poursuivies pour homicide involontaire : Michel J., le proviseur du lycée, Gilles V. qui venait d'être désigné comme responsable du stage par le proviseur et Cyrille R., le maire de Valloire.

Le 26 avril 1999, le tribunal correctionnel d'Albertville condamne le responsable du stage ainsi que le maire à 2 mois d'emprisonnement avec sursis chacun, en revanche il relaxe le proviseur. Par arrêt du 5 janvier 2000 la Cour d'appel de Chambéry confirme la déclaration de culpabilité et la peine prononcée contre le responsable du stage, confirme également la déclaration de culpabilité prononcée contre le maire mais en transformant toutefois la peine d'emprisonnement avec sursis en une peine d'amende avec sursis. Le proviseur relaxé en première instance se voit condamné en appel à une peine de cinq mois d'emprisonnement avec sursis.
Voilà un arrêt qui inquiétera tant les agents de l'Education Nationale que les élus locaux et dont il convient d'examiner la pertinence. Se pose également la question de la situation des prévenus au regard des textes adoptés par l'Assemblée nationale le 5 avril dernier.

I. L'arrêt de la Cour d'appel de Chambéry

A) La condamnation des agents de l'Education Nationale

Le responsable du stage soutient qu'il n'a pas manqué de "curiosité" . On se souviendra que lors du procès des noyades du Drac, l'institutrice s'était vue reprocher son manque de curiosité par le tribunal correctionnel de Grenoble (Trib. corr. Grenoble, 15 septembre 1997). C'est également "un manque manifeste de curiosité" qu'aura relevé le tribunal correctionnel d'Albertville à l'encontre de Gilles V. En effet, le responsable de l'encadrement du stage n'avait pas interrogé les trois élèves sur les mobiles de leur volonté de rester à Valloire ni constaté la présence du volumineux matériel d'escalade.

En appel, l'enseignant aura beau affirmer n'avoir commis aucune faute, la Cour considérera qu'il en a commis une au sens de l'article 221-6 al. 1 du Code pénal puisque le lycéen était placé sous sa responsabilité au moment de son départ pour la cascade et qu'il ne l'a pas empêché de partir.
La Cour précise que Gilles V. avait le pouvoir et les moyens de prendre les mesures nécessaires pour empêcher le départ des élèves. Depuis la loi du 13 mai 1996, l'article 121-3 du Code pénal impose au juge pénal une appréciation in concreto des fautes d'imprudence et de négligence de l'auteur des faits compte tenu "de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait". Il est donc surprenant que les magistrats de la Cour d'appel de Chambéry se soient prononcés sur le pouvoir et les moyens dont disposait l'enseignant tout en omettant d'apporter des précisions quant à ses compétences.

Cet oubli semble encore plus singulier à la lecture du prononcé de la culpabilité du proviseur.

En première instance, le tribunal correctionnel d'Albertville avait renvoyé le proviseur des fins de poursuites notamment parce qu'il ne pouvait pas lui être reproché d'avoir confié à Gilles V. l'encadrement des élèves. En effet, le répétiteur était un professionnel de la surveillance et avait une dizaine d'année d'expérience. C'est seulement sur le terrain de la connaissance de la montagne que le répétiteur était novice et selon les magistrats d'Alberville l'expérience très limitée de la montagne de Gilles V. n'était "pas de nature à l'empêcher d'assurer l'encadrement des élèves hors la formation technique de monitorat de ski".

En appel pourtant, outre le fait qu'il n'avait pas supervisé avec rigueur l'organisation du stage, le proviseur se voit principalement reprocher d'avoir désigné Gilles V. comme responsable du stage en remplacement de l'initiateur de la formation. Selon les juges "en mettant fin aux fonctions de M B. quelques trois semaines avant le début d'un stage que ce dernier avait organisé et devait gérer, en confiant cette responsabilité à Gilles V., répétiteur, qui n'avait pas une expérience suffisante de direction et d'encadrement d'un groupe de 25 stagiaires, Michel J. a commis une faute au sens de l'article 221-6…"

Contrairement aux premiers juges, la cour d'appel considère donc que le répétiteur manquait d'expérience en matière d'encadrement des élèves. Ce défaut d'expérience de l'enseignant, affirmé par la Cour d'appel et reproché au proviseur, n'a pourtant pas permis au répétiteur d'échapper à la condamnation. On peut donc s'interroger sur l'influence que pourrait ou devrait avoir le manque d'expérience sur la réalité des compétences au sens de l'article 121-3 du Code pénal.

B. La condamnation du maire

Voilà une condamnation de plus qui n'est pas faite pour rassurer les élus locaux. C'est en raison de ses pouvoirs de police que le maire est poursuivi. La situation est classique car ce sont bien les pouvoirs de police des maires qui constituent la source de leur responsabilité dès lors qu'ils sont mal exercés (Cf. not : Marie-France Steinlé-Feuerbach, "La responsabilité des maires en cas de catastrophe (au regard des procès de Bruz et de Barbotan) ou la fausse nouveauté de la loi n° 96-393 du 13 mai 1996", J.C.P., 1997, I, 4057).
En l'espèce la cascade était accessible à chacun sans le moindre dispositif d'information ou de protection alors qu'à la date des faits elle n'était pas praticable car la glace était en voie de formation. La Cour souligne que le maire "connaissait la dangerosité d'un tel site, qu'il savait qu'un accident dramatique s'était produit en mars 1997. Donc l'année même du second accident, qu'en bon montagnard il ne pouvait ignorer qu'à la date des faits la cascade n'était pas praticable…" . Les connaissances du maire dans le domaine de la montagne et sa qualité de "bon montagnard" mettent en évidence la conscience que l'élu devait avoir du danger et contribuent par là à fonder sa faute d'imprudence. Cette faute a justifié sa condamnation aux yeux des magistrats de la Chambre correctionnelle de la Cour d'appel de Chambéry.

Sur le lien de causalité entre la faute du maire et l'accident, l'arrêt est clair : "attendu que Cyrille R., maire de la commune de Valloire, a commis une faute au sens de l'article 221-6 al. 1 du Code pénal, faute qui a eu pour conséquence directe d'entraîner (cumulés à d'autres fautes) le décès de Julien". Voilà qui conforte, si besoin en était, l'opinion que nous avons exprimée dans la seconde édition de ce journal à propos de la rédaction de la proposition de loi adoptée par le Sénat relative au délit non intentionnel ( voir "Responsabilité pénale des élus : deuxième essai" par Marie-France Steinlé-Feuerbach et Patrick Le Bas, JAC, n° 2, mars 2000).
Un pourvoi en cassation a été introduit.

II. L'éventuelle application de la réforme en cours

Actualité législative oblige, il nous appartient de tenter d'analyser la situation au regard du texte de la proposition de loi relative aux délits non intentionnels tel qu'il a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale (voir notre opinion et celle de Patrick LE BAS quant à la nouvelle rédaction dans ce numéro du JAC).
Si ce texte devenait définitif sous sa nouvelle forme, il constituerait une loi pénale plus douce et serait donc applicable aux procès en cours. Ainsi, à condition que le texte soit adopté à temps sous sa forme actuelle, l'auteur (ou les auteurs) du pourvoi en cassation pourra en bénéficier. Il convient donc d'examiner la situation des trois prévenus au regard des nouvelles dispositions.

Alors que le texte sénatorial proposait de distinguer causalité directe et indirecte, ce qui à notre avis n'aurait apporté aucun modification à la situation des prévenus dans l'affaire que nous venons d'étudier, l'Assemblée nationale a préféré lors de la séance du mercredi 5 avril 2000 porter la distinction sur la notion d'auteur direct ou indirect. Ainsi, selon la nouvelle rédaction de l'article 121-3 du Code pénal adoptée par les députés, les "personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé la situation qui en est à l'origine ou n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter" ne seront pénalement responsables qu'en cas de faute caractérisée. Si on se réfère aux exemples donnés par Madame le Garde des Sceaux lors de la discussion de la proposition de loi devant l'Assemblée, chacun des trois inculpés n'est qu'un auteur indirect ou médiat selon l'esprit du nouveau texte.

Ainsi, l'enseignant, le proviseur et le maire, s'ils étaient soumis aux nouvelles dispositions et si alors les magistrats les interprètent effectivement dans le sens que souhaitent les parlementaires, ne pourraient être condamnés que s'ils avaient commis une faute caractérisée. Reste à savoir si les fautes des trois prévenus répondent à la définition de la faute caractérisée nouvellement définie. Dans le cas contraire chaque auteur du pourvoi peut espérer la relaxe. Il ne nous est guère possible de préjuger de l'appréciation qu'auront éventuellement les magistrats des fautes commises.
Il sera intéressant, le cas échéant, de savoir si le fait pour un proviseur de désigner comme responsable de stage un enseignant peu expérimenté et de ne pas définir clairement les tâches de chacun constitue ou non une faute caractérisée en application des deux nouveaux critères de celle-ci, c'est-à-dire la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ou encore une faute d'une exceptionnelle gravité exposant autrui à un danger qu'il ne pouvait ignorer. De même, le fait pour un enseignant de ne pas s'opposer au départ d'élèves de 17 ans pour une activité n'entrant pas dans le programme du stage répond-il à la définition d'une telle faute ?

Même interrogation quant au maire auquel les nouveaux textes sont particulièrement destinés bien que la réforme s'applique à tout citoyen. L'absence d'information, de danger ou de protection de la cascade pourrait vraisemblablement constituer une faute caractérisée.
Il apparaît clairement que le maire "bon montagnard" connaissait le danger puisqu'un accident avait eu lieu récemment sur le même site. Les magistrats d'Albertville avaient considéré que le comportement fautif du maire "est d'autant moins excusable qu'au cours de la même année un accident grave avait déjà eu lieu sur cette même cascade et que le maire avait été mis en garde, tant par les services de gendarmerie que par la victime elle-même sur les dangers qu'elle présentait".

L'arrêt de la Cour d'appel met également en évidence l'expérience du maire et sa connaissance du danger.Or le texte adopté par l'Assemblée Nationale prend en compte la notion de connaissance du risque pour les deux critères de la faute caractérisée. Ainsi, le Garde des Sceaux précise que la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement suppose la démonstration d'une imprudence consciente : "C'est parce que l'intéressé aura été personnellement alerté de l'existence d'un risque déterminé et de la nécessité de prendre certaines précautions que sa responsabilité pénale peut être engagée".

Quant à la faute d'une exceptionnelle gravité, qui ne requiert pas la violation d'une obligation particulière de prudence prévue par une loi ou un règlement, elle suppose explicitement une connaissance du danger.

La connaissance du danger étant établie en l'espèce, il n'est guère certain que les dispositions nouvelles permettraient, dans cette espèce, au maire d'échapper à sa responsabilité pénale même s'il n'existe pas à ce jour de réglementation spéciale relative aux cascades de glace.